"Marianne", de Lysette, une bonne fresque historique

Le 6 septembre 2016

“Marianne”, de Lysette Brochu, une bonne fresque historique
Par Germain Dion
https://www.germaindion.com/2016/09/06/marianne-de-lysette-brochu-bonne-fresque-historique/


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LYSETTE BROCHU nous trace, dans Brûlants secrets de Marianne, une  fresque historique des difficultés multiples vécues par un couple francophone dysfonctionnel qui s’expatrie dans le Nord de l’Ontario pour ouvrir de nouvelles terres au début du XXe siècle.

Après leur mariage, le couple part de Fournier et Casselman, dans l’Est ontarien près d’Ottawa,  pour s’installer à Matheson, une communauté en développement située dans le Nord des défricheurs. Ils perdent tout dans le grand feu de forêt de 1916. Le titre du livre aurait fort bien pu être : « Brûlant destin de Marianne », au lieu de Brûlants secrets.  Lysette Brochu nous décrit avec tant d’émotion ce gigantesque incendie qu’on pourrait croire qu’elle s’est inspirée de celui de Fort McMurray, en Alberta, en 2016, sauf que c’est impossible. Elle a écrit son livre deux ans avant.

Marianne a souffert toute sa vie dans sa famille : alcoolisme du couple, incompréhension, absence du mari, trop d’enfants, neuf exactement, dont trois perdus en bas âge (y compris un né adultérin). En ces temps-là, la rigidité religieuse commandait d’accepter avec résignation les malheurs de la vie alors que les colons ne connaissaient ni électricité, ni eau courante ni radio.


Marianne encore enfant a perdu sa mère, atteinte de maladie mentale, et s’étant suicidée. Elle souffre elle-même du même mal. Son mari Albert – plus vieux qu’elle – la décrit, à un moment donné, comme une femme « toujours entre le
up and down ». L’anglais se faufile sans cesse plus dans ce foyer.

Le père de Marianne, Fred, est un irresponsable qui a abusé d’elle jeune au moins une fois et qui s’en prend une autre fois à une de ses petites-filles. Relater surtout la première scène, au début du livre, constituait une scène difficile. Lysette Brochu s’en sort avec habileté, avec des mots explicites sans tomber dans l’exagération.

La Première Guerre mondiale s’infiltre comme par hasard dans ces régions éloignées par quelques  vieux journaux de Toronto qui atteignent ces terres en friche éloignées. Peut-on aurait-on dû en parler davantage ? Peut-être.

L’éloignement, le dénuement, le travail dur, la pauvreté et la nécessité de couper les « cennes » en quatre pour arriver résume la toile de fond du début. Ensuite la situation s’améliore. Mais les époux cèdent alors, l’un et l’autre, à d’autres dieux. Les enfants ne s’en trouvent que plus déchirés.

L’auteure, avant traiter ce sujet, son premier roman, a publié plusieurs livres pour enfants et au moins deux d’autobiographie. Originaire de Sudbury, elle connaît très bien l’Ontario; et elle y reste attachée. Cela paraît dans son inspiration.

Lysette a écrit
Marianne en langue du peuple, le « canayen », par  choix volontaire et pour une raison d’authenticité. Accordons-lui le mérite d’une solide oreille musicale, car elle le transcrit très bien. Elle a enseigné toute sa vie. El elle demeure depuis décennies à Gatineau, au Québec, avec son mari.

N’escomptez pas uniquement de la détente en lisant ce roman. Certains passages, je le répète, sont pénibles. Mais le lire en vaut la peine car il nous met les points sur les
i sur des réalités qui ont existé.

Et, entre nous,  Canada pour Canada, le Nord de l’Ontario à cette époque devait assez s’apparenter à l’Abitibi qui fut au Québec une autre terre de colonisation.

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De son côté, L’actualité(1) vient de rappeler ce 27 juillet 2016 le noir centenaire de ce sinistre feu de forêt de Matheson dans le Nord de l’Ontario, et de ses villages voisins, qui fit près de 225 morts. Tout n’était qu’une langue interminable de désolation. Il reste à ce jour l’incendie le plus meurtrier au Canada.
(1) Jonathan Trudel, « Mes racines incendiées », L’actualité, 27 juillet 2016.

LYSETTE BROCHU
Brûlants secrets de Marianne, roman, 2014

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Le Cavalier, entrevue de Midley Basquin

Le jeudi 4 février 2016
Le Cavalier

Journal étudiant de l’école secondaire publique
De La Salle

Pages 6-10


https://de-la-salle.cepeo.on.ca/wp-content/uploads/sites/16/2018/09/Le_Cavalier_fev_2016.pdf

ÉDITION DU 4 FÉVRIER 2016


Lysette Brochu : l’auteur qui ranime les souvenirs

par Midley Basquin

Lysette Brochu est une écrivaine franco-ontarienne née à Sudbury. Elle est l’auteure de nombreux livres et gagnante de divers prix au Canada.

Très impliquée dans la communauté, elle a participé à de nombreux ouvrages collectifs et des revues de langue française. Ensuite, depuis la publication de son roman en 2001, Brûlant secret de Marianne, elle édite uniformément des récits de vie, des ouvrages pour enfants, recueils de poésie, etc. Pour son public qui est de plus en plus varié, Lysette Brochu ranime des souvenirs, et fait rêver les plus petits. Récemment nous avons eu la chance d’interviewer l’auteure pour vous faire découvrir son cheminement, et bien plus…


Madame Brochu, vous écrivez plusieurs sortes de livres, d’où puisez-vous vos inspirations ?
R. Partout ! Dans mes souvenirs, de mes petits-enfants, d’un fait divers lu dans le journal, d’un rêve... Exemple: mon roman Brûlant secret de Marianne est inspiré d’une anecdote que m’a racontée un ami, au sujet de sa grand-mère. Le livre épistolaire Mes lettres et poèmes à Jules Roy, poste restante Vézelay, est le fruit d’un séjour en Bourgogne, en France. L’album, Les folies du poisson d’avril, raconte un peu ce que mon fils a joué comme tours à ses enfants, au fil des ans.

En quoi votre métier d’enseignante a-t-il un effet sur le fait que vous écrivez ?
R. C’est un peu la question de la poule ou de l’œuf, n’est-ce pas ? Je ne sais pas si j’écris parce que j’aime toujours ma profession ou si j’ai choisi d’être enseignante parce que j’aimais lire et écrire. Une chose est certaine, je n’écris pas pour donner des leçons ou faire la morale à qui que ce soit. Je veux simplement partager ce que j’ai appris parfois de peine et de misère. Surtout, je veux laisser des traces de mon passage sur la terre, témoigner de mon temps, faire rêver les enfants, et m’amuser avec les mots. J’ai la chance de donner des ateliers littéraires dans des classes, des bibliothèques, des Salons du livre, partout au Canada et même ailleurs dans le monde. Quel privilège ! Je me ressource en rencontrant plusieurs lecteurs, petits et grands, et je reviens chez moi, enthousiaste et prête à plonger dans la solitude de l’écriture. Pour moi, pas de retraite !

Pourquoi ne gardez-vous pas un seul public cible ? Par exemple, vous écrivez des livres pour jeunes enfants, et aussi pour un public un peu plus adulte.
R. Je n’ai pas envie de me faire cataloguer dans un genre en particulier «auteure jeunesse» ou «nouvelliste» ou «romancière» ou «poète» ou «haïkiste». J’écris pour mon plaisir, pour les tout-petits, les 7 à 107 ans, sans vouloir me restreindre à un seul style, sans penser à une carrière à long terme. Je rêve d’écrire une «pièce de théâtre», pourquoi pas ? Ou un «Récit de voyage»... Pendant ma carrière en enseignement, j’ai aussi souvent changé de groupes d’âge. J’ai commencé ma carrière au primaire, puis j’ai longtemps enseigné au secondaire, ensuite à l’université aux jeunes et aux adultes. J’aime être libre de suivre mon pif, mon intuition, mes impulsions.

Avez-vous une préférence en matière de livre que vous écrivez; aimez-vous un genre plus que l’autre ?
R. Difficile à répondre. J’ai connu une grande satisfaction à tenir mon premier roman entre mes mains. Mais, plusieurs de mes lecteurs me demandent un troisième recueil de «tableaux de vie». Il faut dire que ce genre me vient facilement... Les récits de vie ont un pouvoir transformateur mystérieux. Chaque lecteur, habité par son histoire personnelle, rencontre un autre «je» et sort de son isolement. La magie opère! Les souvenirs se réveillent, éclairent parfois des pans entiers du passé, modifient l’avenir. Le liseur sourit, rit, verse même une larme... ne sera plus jamais le même. Rien n’est banal, même l’anecdotique. Le moindre tableau peut devenir trésor de littérature ou étincelle de lumière. Dans une société qui change du jour au lendemain, à un rythme effarant, le récit de vie vient aussi combler les trous de mémoire collectifs. Et je me rends compte que les gens aiment beaucoup la télé-réalité, les autobiographies...

Et est-ce que l’écriture fait partie de vous depuis votre enfance ?
R. C’est mon institutrice de septième année qui m’a fait vibrer avec un poème, l’Érable rouge d’Albert Lozeau. Elle a su me transmettre sa passion pour la poésie. Donc, à l’âge de douze ans, j’ai commencé à faire des vers, comme on apprend à tricoter ou à jouer de la guitare. J’avais très peu de confiance en moi cependant. Je n’ai donc pas publié avant l’âge de vingt-huit ans.

Vous êtes très présente dans la société franco-ontarienne et vous êtes juge dans plusieurs concours, comment c’est pour vous d’épauler
d’autres passionnés ?

R. Ma mère disait souvent : «On ne fait pas son ciel tout seul.» C’est en aidant aux autres à réaliser leurs rêves que nous sommes le plus heureux, j’en suis convaincu. Peut-être est-ce une qualité de mon cœur d’enseignante ? Presque tous mes livres pour enfants ont été illustrés par quelqu’un «sans expérience» et non «sans talent». Des jeunes qui voulaient leur chance, mais les éditeurs leur répondaient : «Vous n’avez pas d’expérience.» Je voulais être celle qui leur ferait confiance, qui leur offrirait l’occasion de montrer ce qu’ils pouvaient faire...

Comment décririez-vous votre processus d’écriture ?
R. Pas de recette magique. Cependant, moins j’écris, moins j’ai le goût d’écrire. Alors, je me motive donc à écrire un peu tous les jours. J’écris un paragraphe ou deux pages ou plus par jour. Parfois, je consulte mon carnet de notes, celui que je garde dans mon sac à main et dans lequel je rédige des idées ou des bribes de conversation ou des fragments de rêves... Je sors aussi mon cahier de vocabulaire. Par exemple, pour l’écriture de mon roman Brûlant secret de Marianne, j’avais une banque d’expressions et de mots de l’époque : magané, s’épivarder, etc. Cette liste m’aidait à étoffer mes dialogues. Afin de commencer à écrire, je dois savoir comment mon texte se terminera. Aussi, j’aime bien avoir un titre en tête, car, il oriente mon récit. Après un premier jet, je me relis... je corrige et je peaufine le texte. J’ai aussi un «dream team» composé de cinq amis, des auteurs que j’aime bien. Une fois par mois ou tous les deux mois, nous nous rencontrons pour discuter de nos impasses. Cela permet de mieux réviser nos écrits, de les perfectionner. Il faut avoir le courage nécessaire afin d’accueillir les critiques constructives. Plusieurs qualités sont essentielles à cultiver pour qui veut écrire, surtout l’humilité et la persévérance.

Finalement, ces diverses questions nous ont appris encore plus sur l’auteur ; son cheminement dans l’écriture, son processus de création, ses inspirations, etc. Lysette Brochu détient aussi son site personnel, où elle répond à de nombreuses questions de ses lecteurs, lectrices.

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