
Recension : Écrire au courant de la plume
de Lysette par Hédi Bouraoui.
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Livre stimulant et en tout genre
Lysette Brochu, Écrire au courant de la plume.
Caraquet, N.-B. : Les Éditions de la Francophonie, 2020. 230 p.
Je tiens à féliciter Lysette Brochu pour avoir réussi à faire publier un livre en tout genre, même si elle n’en a listé que trois sur la page couverture : récits, réflexions, et nouvelles. En jetant un coup d’œil à la Table des Matières, on peut mentionner les têtes de chapitre : Récits et tableaux de vie, Lettres, Entrevues, Éloges funèbres, Hommages, Discours, Réflexions, Souvenirs et confidences, Nouvelles et petites histoires bien effrayantes, Récit de voyage.
Lysette Brochu est très connue par ses nombreux écrits, la plupart publiés aux Éditions du Vermillon. Et comme elle donnait un coup de main à cette Maison d’édition dans les Salons du livre de notre province, j’ai eu le bonheur et le plaisir de la rencontrer avec Maurice, son mari. D’ailleurs, celui-ci prenait des photos de l’écrivaine qui sont présentes dans ce livre.
L’écriture de Lysette est assez poétique, classique d’une certaine manière, mais qui inclut aussi les pressions du parler local ontarien. Pour aiguiser l’intérêt de lecture de ce beau livre, je dirai quelques mots de quelques-unes de ses parties.
RÉCITS ET TABLEAUX DE VIE
Les petits doigts de mon père : L’histoire intime de la fillette de 13 ans, envoyée en ville par sa mère afin d’acheter une bague pour célébrer l’anniversaire de son père. La chute de cette histoire est assez surprenante.
Noble père : L’histoire d’un père couronné par sa famille lors d’une remise d’un diplôme d’études secondaires, et qui finit ainsi : « Il mérite un doctorat honoris causa comme Pater familias itou … » (30). Une cérémonie de « graduation » plus ou moins solennelle, mais qui ne manque pas de touches d’humour (captée en images par Maurice Brochu).
Un poète tombé du ciel : Rencontre d’un poète français lors d’une soirée au restaurant dans les Laurentides, années ‘80. Lysette reçoit le conseil de ce poète ambulant, Grégoire Brainin dit Moineau : « Eh bien, Madame! Il ne faut pas juste lire, il faut écrire et écrire, pour l’amour des mots, de la littérature, de la vie. Raconter ses propres histoires par écrit, c’est sacré ! » (36).
Devinez qui viendra dîner ? C’est la visite du nouvel évêque, Monseigneur Roger Ébacher, à la Polyvalente de Hull-Gatineau lorsque Lysette était « . . . animatrice de pastorale » (39). Voici alors son credo : « … d’abord servir de mon mieux Dieu, l’Église, ma patrie, aider mon prochain en toutes circonstances, et enfin observer la devise et le slogan scouts : toujours prête » (39).
Le bonheur est dans la soupe : une anecdote au Salon du livre de Montréal, 2005, où Lysette et son époux se reposent et prennent une soupe quand une inconnue s’assied près d’eux. Cette étrangère voudrait que « quelqu’un » raconte son histoire. Et Lysette de répondre, « Je ne suis pas biographe, mais… » Surprise à la fin avec analogie d’un cuisinier.
Intermède inattendu à Assise : C’est la rencontre d’un pauvre homme prosterné en prières. Les apitoiements de la foule et une question en sourdine dérangent les touristes. Le pape François actuel est attendu. « Prendra-t-il prochainement son bâton de pèlerin afin de marcher sur les traces de celui dont il a pris le nom afin de retrouver l’esprit de charité qui animait le grand Saint de la paix ? » (56).
Folle nuit blanche, décembre 2017 : Insomnie et cauchemars. Pensées qui obsèdent et qui hantent, regrets et remords qui remontent le fil du temps, préoccupations du jour, peurs réelles et irréelles… Enfin, elle dort. En effet, « le sommeil est sacré » (64).
LETTRES…
Lettre à une jeune femme en deuil de sa jumelle : Dans cette lettre, Lysette se révèle débordante de sagesse et d’altruisme pour une femme qu’elle n’a rencontrée qu’une seule fois, et qu’elle souhaite pouvoir aider en allégeant sa souffrance, lui permettre d’expurger angoisse et tristesse.
Suis-je atteinte de Tsundoku ? Collectionner des livres qui remplissent tous les espaces de l’auteure au point où elle écrit à son médecin : Docteur, suis-je malade, atteinte de Tsundoku ?
Annonce de l’anniversaire de mariage : de 15 mars 1969-15 mars 2019.
Lettre à mon mari à l’occasion de ses 80 ans : Très belle lettre d’amour que tout époux voudrait recevoir. Le tout accompagné de photos de toute la famille.
ENTREVUE, ÉLOGES FUNÈBRES, HOMMAGES…
Les Éditions du Vermillon : Trente Ans de dévouement
Entrevue : Très belle entrevue de la Directrice générale des Éditions du Vermillon, Monique Bertoli, et de Jacques Flamand, Directeur littéraire : comment ils se sont rencontrés, formé un couple ? Ce sont tous les deux des travailleurs acharnés par amour des lettres et des connaissances.
A-t-on le droit de diriger la lumière sur une fleur d’ombre ? – « Comme une petite violette du Canada dont la feuille est en forme de cœur, Monique est une plante très généreuse, belle, discrète et naturellement gracieuse. Elle incarne les valeurs qui font d’une personne un être d’exception. Il y a longtemps que je l’ai choisie comme modèle à suivre… » (111-12).
Adieu Jacques : Cet hommage a été publié dans la Revue CMC Review 4 : 2 (2017).
DISCOURS, RÉFLEXION, SOUVENIRS ET CONFIDENCES…
Discours sur le bonheur : Ici, Lysette donne de bons conseils aux finissants et finissantes lors « de la collation des grades, au nom de toute la communauté universitaire » (129). Elle donne aussi de très belles définitions, dont je retiens : « Le bonheur se réveille au plus profond de nous-mêmes, dans nos aspirations vers le Beau, le Vrai, le Bien » (130).
Souvenirs et Confidences : Lysette nous raconte ici ses aventures à écrire ses premiers poèmes et livres pour la jeunesse. Elle nous raconte les affres de la publication, ses échecs et ses encouragements, ses déceptions et ses succès… Et elle finit par donner des conseils aux écrivains en herbe.
NOUVELLES ET PETITES HISTOIRES BIEN EFFRAYANTES…
Jusqu’au bout de la nuit : C’est l’histoire d’un couple amoureux qui est marié depuis soixante-dix ans. Leur fille, Colette, après avoir passé du temps avec eux lors de leurs derniers moments, décide, très dramatiquement, de voir à les enterrer dans le même cercueil. Et Colette réfléchit. Elle en arrive à souhaiter enterrer la hache de guerre pour, peut-être, revenir à son mari. « Comme épitaphe pour ses parents, elle choisit ce qu’avait fait graver Claudel sur la pierre tombale de sa Rosalie, l’amour de sa vie : ‘Seule la rose est assez fragile pour exprimer l’éternité’ » (178).
Carillon de gratitude : Lady Aberdeen, « presbytérienne convaincue » (183), est tombée avec les chevaux de son carrosse dans l’eau de la Gatineau. Repêchée, elle commande une cloche de 164 kilogrammes pour le curé de l’Église Saint-François-de-Sales, Gatineau.
Nuit de fiançailles : fait divers « en partie inspiré d’une histoire réelle, un meurtre qui a eu lieu à Gatineau en 1999 » (194). Retenons cette citation que nous aimons particulièrement de Scott Fitzgerald, « Dans la nuit noire de l’âme, il est toujours trois heures du matin » (189). Lysette a tendance à traduire les faits divers grotesques, selon la tradition gothique très populaire au Québec.
RÉCIT DE VOYAGE
Une Virée en Grande –Bretagne
Avec sa sœur Lynne, diamétralement opposée à elle, point de vue du caractère, Lysette fait un voyage en Grande-Bretagne tout en révélant qu’elle connaît parfaitement les cultures anglaise, londonienne, écossaise et autres. Elle cite même les auteurs nés à Londres : « Robert Browning, Lord Byron, Daniel Defoe, Daphne du Maurier, Virginia Woolf et tant d’autres » (202) ; des lieux très renommés, comme Oxford University ; des dires de Churchill. Un matin, avant leur visite à Stratford-on-Avon, sa sœur lui récite les passages de la scène 1 de l’acte 1 de Twelfth Night : « If music be the food of love, play on » (205-06). Puis on rencontre les personnalités célèbres d’Édimbourg : Alexander Graham Bell, Tony Blair, Sean Connery, Arthur Conan Doyle (208). Elle parle de Harry Potter, et évoque les Beatles, cite même quelques-uns des vers de leurs chansons : « Bright are the stars that shine/ Dark is the sky/ I know this love of mine/ Will never die/ And I love her » (Lennon-McCartney, “And I Love Her,” 1964) (212). Et “Oh yeah, I’ll tell you somethin’/ I think you’ll understand/ When I say that somethin’/ I want to hold your hand . . . “ (Lennon-McCartney, “I Want to Hold Your Hand,” 1963) (213).
Au pays de Galles, elle évoque Tolkien et la poétesse Elizabeth Barrett Browning (215). De retour en Angleterre, à Bath, elle se remémore la vie de Jane Austen, « qui vécut dans la spa city, pendant neuf ans » (215). Elle achète une tasse Jane Austen qui « présente son image ainsi qu’une collection de citations et d’extraits de son travail » (216). Cette évocation fera plaisir à Elizabeth Sabiston, notre Directrice du CMC et de la Revue CMC Review, une grande spécialiste de cette auteure.
Ce beau livre tous genres se termine par les textos de Lysette à Maurice, un partage d’expériences et de sentiments.
Enfin, elle produit dans son livre la légende écossaise des Kelpies, avec la photo de la tête et du cou des deux chevaux (218) : « Les Kelpies sont des êtres aquatiques vivant dans les rivières et dans les lochs écossais… Un des Kelpies les plus connus d’Écosse est bien sûr le monstre du Loch Ness » (219).
À lire absolument, car tout lecteur/toute lectrice ne manquera pas de découvrir une auteure chevronnée, étayant son point de vue sur des personnes, des personnalités, des auteurs, des artistes… toutes sortes de cultures les plus variées, transcrites dans un style poétique qui émerge naturellement du « courant de la plume. »
Hédi Bouraoui
York University, Toronto
Hédi Bouraoui, né le 16 juillet 1932 à Sfax, est un poète, nouvelliste et universitaire tuniso-canadien. Il traite régulièrement des thèmes incluant la transcendance des frontières culturelles. Il passe sa jeunesse en France, puis part vivre au Canada. Après avoir suivi ses études secondaires au lycée Maréchal-Lannes de Lectoure (Gers), puis étudié les littératures française, anglaise et américaine en France puis aux États-Unis, il rejoint l'université York de Toronto, en 1966, où il enseigne les littératures françaises et anglaises en se spécialisant dans les littératures africaine, caribéenne, et franco-ontarienne. Il lance également le centre Canada-Méditerranée (CMC) au sein de l’université. En mai 2003, il est fait docteur honoris causa de l'université Laurentienne de Sudbury en Ontario en reconnaissance de ses contributions à la littérature canadienne et mondiale. Il reçoit également de nombreux prix littéraires au Canada, en France et en Tunisie. Il est membre du comité d'honneur de la Maison internationale des poètes et des écrivains de Saint-Malo. Professeur émérite à l'université de Toronto, il est membre de l'Académie des lettres et des sciences humaines de la Société royale du Canada. En 2004, il est récipiendaire du prix du Nouvel-Ontario pour l'ensemble de son œuvre. On lui doit également une cinquantaine d'ouvrages, le plus souvent axés sur diverses facettes de la pluralité culturelle. Son conte poétique Rose des sables et son roman Ainsi parle la Tour CN ont remporté le Grand Prix du Salon du livre de Toronto, respectivement en 1998 et 2005. En 2016, il est mis à l'honneur au lycée Notre-Dame-des-Aydes de Blois avec une exposition raisonnée de ses écrits au centre de documentation et d'information de l'établissement.